Comité de Jumelage avec Diaranguel (Sénégal)
SiteW date de création 2013 - Jacques GUILBOT
Président Claude BERAUD
Script et recueils historiques : Régis BOUTTET
Association Loi 1901 n°W423002459
Siège social : 42520 Mairie de Saint Pierre de Boeuf (France)
Tel 04 74 87 15 57 - 04 74 87 11 30 - Fax 04 74 87 10 47
JAD - CCP LYON32354 R 038
Avant-propos
Malick Samba LY, ancien chef du village, qui a bien voulu répondre à nos interrogations et lever le voile sur les événements véhiculés par la tradition orale.
Interview réalisée par Mr Régis Bouttet ancien maire de Saint Pierre de Boeuf. (décembre 2009)
Origine et Histoire (selon l"une des légendes racontée)
Il y a longtemps, bien longtemps, comme venant du fond des âges, du temps où le fleuve Sénégal s’écoulait en fleuve tranquille en période sèche, et pouvait être dévastateur à la période des pluies (hivernage).
Il y avait là, sur la rive droite du fleuve (côté Mauritanie) un village du nom de Koné, où vivaient les ancêtres des familles de Diaranguel d’aujourd’hui. Ce village était souvent la proie des fameuses razzias mauresques, qui semaient peur et panique, et dispersaient les familles. Les habitants décidèrent de mettre le fleuve entre l’envahisseur et eux en déplaçant leur village sur la rive d’en face.
La tradition orale raconte qu’un dénommé Dieng, à la suite d’une discorde familiale, partit de Haéré M’Bara situé plus au nord, avec un seul désir, descendre vers le sud, traverser le fleuve à un endroit propice. Ainsi arriva-t-il …à la tombée du jour à Koné.
Comme il n’y avait pas de pirogue pour traverser le fleuve, il décida de prendre du repos et d’attendre le lever du soleil.
Au petit matin, il décida donc de traverser à pied. L’entreprise était risquée, mais rien ne pouvait l’arrêter. Rassemblant ses quelques affaires, il en fit un baluchon qu’il mit sur la tête. Il pénétra et s’enfonça dans les flots, le bâton à la main, sondant les fonds pour trouver « le gué ». Pas à pas, petit à petit, résistant au courant, trébuchant, allant tantôt en amont, tantôt en aval, il parvint plusieurs heures après sur l’autre rive, épuisé. Là, il séjourna un certain temps à l’ombre des tamariniers et appela ce lieu « Diaranguel » qui n’était rien d’autre que son prénom.
Mais Dieng n’avait qu’en tête d’aller encore plus loin.
Il quitta donc un beau matin les lieux, reprit sa marche jusqu'à M’Boumba où il fit définitivement souche sous le nom Wane.
La voie était ouverte… c’est alors que les habitants de Koné prirent la décision d’organiser la grande expédition pour déplacer leurs familles sur le windé (lieu abandonné). Ainsi fut fondé le village de Diaranguel que nous connaissons aujourd’hui.
Tandis que le village de Diaranguel s’établissait sur cette nouvelle berge du fleuve, certains de ses habitants crurent bon de revenir sur leurs pas et de retraverser le fleuve Sénégal.
Ils fondèrent le village de Thiodji N’Gouli, aujourd’hui Garabol situé à environ 10 km à l’intérieur du territoire Mauritanien.
C’est pour cela que traverser le fleuve, donc la frontière, n’est pas un problème pour les Diaranguelois, car pour eux là-bas…c’est chez eux.
Au village la vie s’écoulait selon les traditions des Alpoulars (Toucouleurs), ethnie établie tout au long du fleuve de St Louis jusqu’au Mali.
La structure sociale de Diaranguel s’articulait autour :
des Torobés (cultivateurs),
des Soubalbés (pêcheurs cultivateurs),
des Sétbés (gardiens des récoltes),
des Safalbés (tanneurs de peaux),
du Diawambé (conseiller «dit le malin»),
du ou des Wayloubés (forgerons),
des Aouloubés (chanteurs griots),
des galoucodés (captifs)
des Peuls (éleveurs) ces derniers vivant à l’écart du village dans des hameaux à cause des animaux.
Placé sous l’autorité du chef de village entouré du dialtabé (le vétéran des pêcheurs), du marabout, du diagaraf (intendant des cultures de Wallo et Diéri), de l’imam et ses adjoints, on vivait au rythme des saisons, en quittant le village à partir de juin-juillet pour passer la période des pluies dans le Diéri (à Gadiobé pour mon interlocuteur), évitant ainsi les crues du fleuve tout en permettant d’assurer les cultures d’hivernage.
(Diéri est un terme géographique d'origine Toucouleur qui désigne les terres non inondables de la vallée d'un fleuve, par opposition au Wallo les terres cultivées dans la partie inondée par les crues annuelles du fleuve).
Le retour au village se fait en septembre pour cultiver le Wallo (cultures de décrues).
Cette migration annuelle cessa il y a un peu plus de 30 ans. Aujourd’hui elle n’a plus cours en raison des aménagements du fleuve (Barrages).
Partir dans le Diéri était une véritable expédition, car Diarangel est situé sur une île (l’île à Morphil). Pour atteindre Gadiobé il fallait traverser le Doué (bras du fleuve Sénégal), avec familles, vivres, bétail et matériel.
Une petite explication s’impose !
L’île à Morphil, au cœur historique du Fouta (région nord du Sénégal), est enfermée entre le fleuve Sénégal au nord et la rivière le Doué au sud. Une étroite langue de terre basse, longue de plus de 100 km, parfois marécageuse. Les villes sont Podor à l’ouest et Saldé à l’est.
Son nom signifie littéralement « l’île aux ivoires », car les éléphants y vivaient. On dit même qu’il y avait un cimetière à éléphants qui attira bien des trafiquants.
Les éléphants ont disparu depuis les années 1960.
Les principales cultures sont le mil, sorgho, maïs, manioc, niébé, courge, patate douce, arachide….
A cette époque là, les récoltes sont pour partie soumises à répartition. Chaque cultivateur remet 1/10ème de sa récolte au « diagaraf » qui en fait la répartition suivante : une part pour « ardo » gérant des terres du diéri et de wallo - une part pour lui-même, intendant sous les ordres de ardo - une part pour le village.
Les soubalbés, souvenez vous… les pêcheurs, ont un rôle important car leur métier n’était pas de tout repos, présentant même des risques certains. Les pirogues sont des embarcations à faible stabilité et quand il fallait affronter les crocodiles ou faire fuir les lamantins, c’était parfois périlleux et dangereux.
Les soubalbés chassaient les crocodiles à l’aide de « denguérés », lances fabriquées spécialement par les forgerons.
« Les crocodiles, il y en avait beaucoup, beaucoup… »
selon les dires…et les plus jeunes finissaient dans la marmite.
Les accidents étaient rares.
Est-ce parce que les soubalbés étaient très expérimentés ? Il n’empêche qu’un jour où le fleuve s’était retiré, des crocodiles étaient restés dans une mare à proximité du village. Les pêcheurs sont venus pour les tuer, mais l’un d’eux eut la jambe happée par un gros crocodile, qui la lui brisa en trois endroits.
Cela peut donner des frissons dans le dos, mais aujourd’hui il n’y a plus rien à craindre, les crocodiles ont disparu depuis les années 1950-1960.
On raconte qu’une très belle jeune fille du village descendit un jour au fleuve pour y faire sa lessive. Après avoir fini son travail, elle eut envie de se baigner nue dans le fleuve. Comme elle nageait avec délice dans l’eau turquoise, elle aperçut, non pas un crocodile mais sa belle mère qui s’approchait de la berge. Elle ne pouvait pas sortir de l’eau dans sa nudité, car c’eut été un déshonneur coupable. Elle se mit à prier afin que le ciel lui vint en aide. Sa prière fut exaucée, son corps se transforma, une grande queue nageoire enveloppa ses jambes, et elle prit l’apparence d’un lamantin.
Cette belle histoire, ne dément pas la légende des sirènes qui trouve son origine avec les lamantins.
De même, le chant des sirènes est assimilé à celui des lamantins (il serait en effet comparé à une lamentation). Le lamantin est un mammifère herbivore très inoffensif, doux et qui se laisse approcher par l’homme. Il peut mesurer 4 mètres de long et peser 800 kilos Le « liwougou » d’après la rumeur villageoise se défendrait en expulsant par les naseaux un gaz nauséabond.
Dans l’île à Morphil, il n’y avait pas que des éléphants. Les autruches étaient présentes. Mon interlocuteur se souvient, quand il était enfant, qu’un de ses parents en avait élevé une pour la manger.
La brousse était beaucoup plus dense, et la faune importante : lions, lionnes, hyènes, phacochères…
Le village devait se protéger pour éviter aux lionnes de venir la nuit égorger et emporter chèvres ou agneaux . En effet les torobés possédaient, et possèdent toujours, du bétail bien qu’ils ne soient pas des éleveurs comme les peuls. Le bétail est un appoint et non pas une activité principale. Le bétail est abattu pour les besoins et événements familiaux ou religieux. Un bœuf pour un mariage, un bélier pour la fête de la Tabaski, un chevreau pour honorer des visiteurs…
Chaque village appartenait à un clan. Diaranguel appartenait au clan des Irlabés (Saldé Tikité, Pété…) et les clans environnants étaient : les Damga et des Guenards (villages aux environs de Matam), les Toros (Diagana, N’Dioum…), les Laos (Aéré, Turbidel, M’Boumba…), les Ebiabés (Galoya, Diaba…), les Bossoyabés. Des luttes de pouvoir amenaient les clans à s’affronter, à se battre parfois violemment, avec des victimes et des prisonniers. Ainsi les vainqueurs faisaient des captifs (hommes, femmes et enfants). Les galoucodés appartenaient alors à une famille et en étaient les esclaves. Pour se libérer ils devaient verser une certaine somme d’argent.
Pour mieux comprendre, comment s’organisait la vie sociale à Diaranguel un rattachement à l’Histoire de la région du fleuve apparaît nécessaire.
Cette région, appartenant au Fouta Toro, était à l’origine, selon nos connaissances, le territoire du royaume de « Tékrou ». Son existence au IX ème siècle est attestée par des manuscrits arabes (nous sommes au début de la période d’islamisation) et son nom serait lié à l’ethnie Toucouleur.
Les dynasties se succédèrent jusqu’au milieu du 18ème siècle, l’une d’entre elle dura trois siècles. En 1776 les Toucouleurs, en très grande partie islamisés, renversèrent la dynastie en place (Deniankobé) en menant une guerre sainte. C’est ce que l’on appela la révolution torodo et l’islam fut déclaré religion d’Etat du Fouta.
A partir de cette époque la caste des torobés représente le pouvoir religieux, créant une société théocratique.
Ainsi, à Diaranguel la structure sociale s’organisa autour des castes traditionnelles dont l’influence était forte, puisqu’on ne se mariait qu’entre familles de la même caste. La caste dominante des torobés, plaça la religion au centre de la vie sociale du village.
Nous venons de traverser allègrement quelques siècles. En l’absence de sources écrites ou de vestiges monumentaux dans cette région, les seules données sont issues de la tradition orale et ces informations suggèrent que le peuplement du Sénégal s’est fait par le nord, donc par cette région du fleuve.
Les Toucouleurs sont originaires de la vallée du Nil et se sont métissés avec les Peuls et les Sérères.
Mais notre connaissance du passé de Diaranguel ne s’arrête pas là. La période de la colonisation a également marqué la vie de la région.
« Pendant toute la colonisation, il fallait nous séparer (dans le sens de diviser) pour pouvoir nous commander » ainsi s’exprime mon interlocuteur, qui connu la fin de la colonisation.
Et pour émailler son propos, de faire remarquer qu’il y avait quatre agglomérations où les habitants étaient « citoyens français » (St Louis, Rufisque, Gorée, Dakar) partout ailleurs les habitants étaient « sujets français ».
Retour historique
Au XV ème , les navigateurs portugais à la recherche de la route des Indes débarquèrent sur la côte ouest de l’Afrique.
Au XVI ème , début de la traite des noirs organisée par les portugais, installation des hollandais à Gorée.
De 1626 à 59, période de colonisation par les Français du site de St Louis
Fin du XVI ème , les Anglais et les Français se disputent St Louis et Gorée
En 1814 par le traité de Paris, le Sénégal est attribué à la France et, durant ce siècle, s’est structurée la présence française, mais aucun blanc ne s’est établi dans le secteur de Diaranguel.
L’école française créée en 1894 à Saldé, village situé à 5 km, est l’une des premières traces de l’influence française, dans l’île à Morphil. Son premier instituteur était sénégalais et se dénommait Racine Sow (prénom très évocateur pour un enseignant).
Chaque village avait obligation d’envoyer un certain nombre de garçons à l’école à partir de l’âge de 8 ans. A Diaranguel le choix se faisait par tirage au sort.
A Saldé, siégeait le chef de canton qui avait autorité sur les chefs de villages.
Lui-même était sous l’autorité du commandant de cercle résidant à Podor.
Le commandant de cercle était français ; les chefs de cantons étaient des Sénégalais nommés par les Français.
Tous les hommes âgés de 21 ans étaient convoqués à Saldé pour être examinés par un médecin militaire (français) qui décidait de leur aptitude aux besoins militaires ; il y avait aussi des jeunes qui étaient volontaires.
Les villages devaient fournir de la main d’œuvre pour les corvées, pour la construction ou l’entretien des routes, mais parfois le chef de canton en profitait pour faire travailler son champ par les villageois
Pour communiquer entre le commandant de centre et le chef de canton et vice-versa, les plis circulaient de village en village entre Saldé et Podor (100 km) et jamais il n’y a eu un pli de perdu.
Les blancs passaient parfois à Diaranguel, il s’agissait surtout de militaires, de géographes … les enfants se sauvaient, ils avaient peur des blancs et des uniformes, car ils n’avaient pas l’habitude d’en voir.
Durant le XXeme siècle, le Sénégal contribua fortement à l’effort de guerre français : guerre de 14-18, guerre de 39-40, guerre d’Indochine, guerre d’Algérie ; que ce soit avec les unités des tirailleurs sénégalais ou bataillons de zouaves.
Deux Diaranguelois sont morts pour la France et une dizaine furent combattants en tant que tirailleurs sénégalais
Nous avons, dans le cadre du jumelage, eu l’honneur de faire connaissance avec monsieur Gadio ancien combattant en 39-40, médaillé militaire, rescapé du massacre de la bataille de Montluzin (entre Chasselay et Limonest) au nord de Lyon.
Voir extrait vidéo de la cérémonie des signatures du jumelage le 18 septembre 1988
v